Livre VIII – La Guerre des Gaules LIBER OCTAVVS ab A. Hirtio scriptus | Traduction L. A. Constans. Paris : Société d’édition Les Belles lettres - 1926 |
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[30] Qua ex fuga cum constaret Drappetem Senonem, qui, ut primum defecerat Gallia, collectis undique perditis hominibus, servis ad libertatem vocatis, exulibus omnium civitatum adscitis, receptis latronibus impedimenta et commeatus Romanorum interceperat, non amplius hominum duobus milibus ex fuga collectis provinciam petere unaque consilium cum eo Lucterium Cadurcum cepisse, quem superiore commentario prima defectione Galliae facere in provinciam voluisse impetum cognitum est, Caninius legatus cum legionibus duabus ad eos persequendos contendit, ne detrimento aut timore provinciae magna infamia perditorum hominum latrociniis caperetur. | 30 - Comme on savait qu’après cette déroute le Sénon Drappès, qui, dès le début du soulèvement de la Gaule avait rassemblé de toute part des gens sans aveu, appelé les esclaves à la liberté, fait venir à lui les bannis de toutes les cités, accueilli les voleurs, et intercepté les convois de bagages et de ravitaillement des Romains, comme on savait que ce Drappès avait formé avec les restes de l’armée en fuite une troupe atteignant au plus deux mille hommes et marchait sur la Province, qu’il avait pour complice le Cadurque Luctérios qui, au début de la révolte gauloise, s’était proposé, comme on l’a vu dans le commentaire précédent, d’envahir la Province, le légat Caninius se lança à leur poursuite avec deux légions, ne voulant pas que la Province eût à souffrir ou que la peur s’emparât d’elle, et qu’ainsi nous fussions déshonorés par les brigandages d’une bande criminelle. |
[31] Gaius Fabius cum reliquo exercitu in Carnutes ceterasque proficiscitur civitates, quarum eo proelio, quod cum Dumnaco fecerat, copias esse accisas sciebat. Non enim dubitabat quin recenti calamitate summissiores essent futurae, dato vero spatio ac tempore eodem instigante Dumnaco possent concitari. Qua in re summa felicitas celeritasque in recipiendis civitatibus Fabium consequitur. Nam Carnutes, qui saepe vexati numquam pacis fecerant mentionem, datis obsidibus veniunt in deditionem, ceteraeque civitates positae in ultimis Galliae finibus Oceano coniunctae, quae Aremoricae appellantur, auctoritate adductae Carnutum adventu Fabi legionumque imperata sine mora faciunt. Dumnacus suis finibus expulsus errans latitansque solus extremas Galliae regiones petere est coactus. | 31 - Caïus Fabius, avec le reste de l’armée, part chez les Carnutes et les autres peuples dont il savait que les forces avaient été très éprouvées dans le combat qu’il avait livré à Dumnacos. Il ne doutait pas, en effet, que la défaite qui venait de leur être infligée ne dût les rendre moins fiers, mais non plus que, s’il leur en laissait le temps, ils ne pussent, excités par ce même Dumnacos, relever la tête. En cette occurrence, Fabius eut la chance de pouvoir procéder, dans la soumission des cités, avec la plus heureuse promptitude. Les Carnutes, qui, bien que souvent éprouvés, n’avaient jamais parlé de paix, donnent des otages et se soumettent ; les autres cités, situées aux confins de la Gaule, touchant à l’océan, et qu’on appelle armoricaines, entraînées par l’exemple des Carnutes, remplissent sans délai, à l’approche de Fabius et de ses légions, les conditions imposées. Dumnacos, chassé de son pays, dut, errant et se cachant, aller chercher un refuge dans la partie la plus retirée de la Gaule. |
[32] At Drappes unaque Lucterius, cum legiones Caniniumque adesse cognoscerent nec se sine certa pernicie persequente exercitu putarent provinciae fines intrare posse nec iam libere vagandi latrociniorumque faciendorum facultatem haberent, in finibus consistunt Cadurcorum. Ibi cum Lucterius apud suos cives quondam integris rebus multum potuisset, semperque auctor novorum consiliorum magnam apud barbaros auctoritatem haberet, oppidum Uxellodunum, quod in clientela fuerat eius, egregie natura loci munitum, occupat suis et Drappetis copiis oppidanosque sibi coniungit. | 32 - Mais Drappès et avec lui Luctérios, sachant que Caninius et ses légions étaient tout proches et se pensant certainement perdus s’ils pénétraient sur le territoire de la Province avec une armée à leurs trousses, n’ayant d’ailleurs plus la possibilité de battre librement la campagne en commettant des brigandages, s’arrêtent dans le pays des Cadurques. Luctérios y avait joui autrefois, avant la défaite, d’une grande influence sur ses concitoyens, et maintenant même ses excitations à la révolte rencontraient auprès de ces Barbares un grand crédit : il occupe avec ses troupes et celles de Drappès la ville d’Uxellodunum, qui avait été dans sa clientèle ; c’était une place remarquablement défendue par la nature ; il en gagne à sa cause les habitants. |
[33] Quo cum confestim Gaius Caninius venisset animadverteretque omnes oppidi partes praeruptissimis saxis esse munitas, quo defendente nullo tamen armatis ascendere esset difficile, magna autem impedimenta oppidanorum videret, quae si clandestina fuga subtrahere conarentur, effugere non modo equitatum, sed ne legiones quidem possent, tripertito cohortibus divisis trina excelsissimo loco castra fecit ; a quibus paulatim, quantum copiae patiebantur, vallum in oppidi circuitum ducere instituit. | 33 - Caïus Caninius y vint tout aussitôt ; se rendant compte que de tous côtés la place était défendue par des rochers à pic, dont l’escalade, même en l’absence de tout défenseur, était difficile pour des hommes portant leurs armes, voyant, d’autre part, qu’il y avait dans la ville une grande quantité de bagages et que, si l’on essayait de fuir secrètement en les emportant, il n’était pas possible d’échapper non seulement à la cavalerie, mais aux légionnaires même, il divisa ses cohortes en trois corps et les établit dans trois camps placés sur des points très élevés ; en partant de là, il entreprit de construire peu à peu, selon ce que permettaient ses effectifs, un retranchement qui faisait le tour de la ville |
[34] Quod cum animadverterent oppidani miserrimaque Alesiae memoria solliciti similem casum obsessionis vererentur, maximeque ex omnibus Lucterius, qui fortunae illius periculum fecerat, moneret frumenti rationem esse habendam, constituunt omnium consensu parte ibi relicta copiarum ipsi cum expeditis ad importandum frumentum proficisci. Eo consilio probato proxima nocte duobus milibus armatorum relictis reliquos ex oppido Drappes et Lucterius educunt. Hi paucos dies morati ex finibus Cadurcorum, qui partim re frumentaria sublevare eos cupiebant, partim prohibere quo minus sumerent non poterant, magnum numerum frumenti comparant, nonnumquam autem expeditionibus nocturnis castella nostrorum adoriuntur. Quam ob causam Gaius Caninius toto oppido munitiones circumdare moratur, ne aut opus effectum tueri non possit aut plurimis in locis infirma disponat praesidia. | 34 - A cette vue, ceux qui étaient dans la ville, tourmentés par le tragique souvenir d’Alésia, se mirent à craindre un siège du même genre ; Luctérios, qui avait vécu ces heures-là, était le premier à rappeler qu’il fallait se préoccuper d’avoir du blé ; les chefs décident donc, à l’unanimité, de laisser là une partie des troupes et de partir eux-mêmes, avec des soldats sans bagages, pour aller chercher du blé. Le plan est approuvé, et la nuit suivante, laissant deux mille soldats dans la place, Drappès et Luctérios emmènent les autres. Ils ne restent que quelques jours absents, et prennent une grande quantité de blé sur le territoire des Cadurques, dont une partie désirait les aider en les ravitaillant, et l’autre ne pouvait les empêcher de se pourvoir ; ils font aussi, plus d’une fois, des expéditions nocturnes contre nos postes. Pour ce motif, Caninius ne se presse point d’entourer toute la place d’une ligne fortifiée il craignait qu’une fois achevée il ne lui fût impossible d’en assurer la défense, ou que, s’il établissait un grand nombre de postes, ils n’eussent que de trop faibles effectifs. |
[35] Magna copia frumenti comparata considunt Drappes et Lucterius non longius ab oppido X milibus, unde paulatim frumentum in oppidum supportarent. Ipsi inter se provincias partiuntur : Drappes castris praesidio cum parte copiarum restitit ; Lucterius agmen iumentorum ad oppidum ducit. Dispositis ibi praesidiis hora noctis circiter decima silvestribus angustisque itineribus frumentum importare in oppidum instituit. Quorum strepitum vigiles castrorum cum sensissent, exploratoresque missi quae gererentur renuntiassent, Caninius celeriter cum cohortibus armatis ex proximis castellis in frumentarios sub ipsam lucem impetum fecit. Ei repentino malo perterriti diffugiunt ad sua praesidia ; quae nostri ut viderunt, acrius contra armatos incitati neminem ex eo numero vivum capi patiuntur. Profugit inde cum paucis Lucterius nec se recipit in castra. | 35 - Après avoir fait une ample provision de blé, Drappès et Luctérios s’établissent à un endroit qui n’était pas à plus de dix milles de la place, et d’où ils se proposaient d’y faire passer le blé peu à peu. Ils se répartissent la tâche : Drappès reste au camp, pour en assurer la garde, avec une partie des troupes, Luctérios conduit le convoi vers la ville. Arrivé aux abords de la place, il dispose des postes de protection et, vers la dixième heure de la nuit, entreprend d’introduire le blé en prenant à travers bois par d’étroits chemins. Mais les veilleurs du camp entendent le bruit de cette troupe en marche, on envoie des éclaireurs qui rapportent ce qui se passe, et Caninius, promptement, avec les cohortes qui étaient sous les armes dans les postes voisins, charge les pourvoyeurs aux premières lueurs du jour. Ceux-ci, surpris, prennent peur et s’enfuient de tous côtés vers les troupes de protection dès que les nôtres aperçoivent ces dernières, la vue d’hommes en armes accroît encore leur ardeur, et ils ne font pas un seul prisonnier. Luctérios réussit à s’enfuir avec une poignée d’hommes, mais il ne rentre pas au camp. |
[36] Re bene gesta Caninius ex captivis comperit partem copiarum cum Drappete esse in castris a milibus longe non amplius XII. Qua re ex compluribus cognita, cum intellegeret fugato duce altero perterritos reliquos facile opprimi posse, magnae felicitatis esse arbitrabatur neminem ex caede refugisse in castra qui de accepta calamitate nuntium Drappeti perferret. Sed in experiendo cum periculum nullum videret, equitatum omnem Germanosque pedites, summae velocitatis homines, ad castra hostium praemittit ; ipse legionem unam in trina castra distribuit, alteram secum expeditam ducit. Cum propius hostes accessisset, ab exploratoribus quos praemiserat cognoscit castra eorum, ut barbarorum fere consuetudo est, relictis locis superioribus ad ripas fluminis esse demissa ; at Germanos equitesque imprudentibus omnibus de improviso advolasse proeliumque commisisse. Qua re cognita legionem armatam instructamque adducit. Ita repente omnibus ex partibus signo dato loca superiora capiuntur. Quod ubi accidit, Germani equitesque signis legionis visis vehementissime proeliantur. Confestim cohortes undique impetum faciunt omnibusque aut interfectis aut captis magna praeda potiuntur. Capitur ipse eo proelio Drappes. | 36 - Après cette heureuse opération, Caninius apprend par des prisonniers qu’une partie des troupes est restée avec Drappès dans un camp qui n’est pas à plus de douze milles. S’étant assuré du fait par un grand nombre de témoignages, il voyait bien que, puisque l’un des deux chefs avait été mis en fuite, il serait facile de surprendre et d’écraser ceux qui restaient ; mais il n’ignorait pas non plus que ce serait une grande chance si aucun survivant n’était rentré au camp et n’avait apporté à Drappès la nouvelle du désastre ; néanmoins, comme il ne voyait aucun risque à tenter la chance, il envoie en avant vers le camp ennemi toute la cavalerie et les fantassins Germains, qui étaient d’une agilité extrême ; lui-même, après avoir réparti une légion dans les trois camps, emmène l’autre en tenue de combat. Arrivé à peu de distance des ennemis, les éclaireurs dont il s’était fait précéder lui apprennent que, selon l’usage ordinaire des Barbares, ils ont laissé les hauteurs pour établir leur camp sur les bords de la rivière ; les Germains et les cavaliers n’en sont pas moins tombés sur eux à l’improviste et ont engagé le combat. Fort de ces renseignements, il y mène sa légion en armes et rangée pour la bataille. Les troupes, à un signal donné, surgissant de toutes parts, occupent les hauteurs. Là-dessus, les Germains et les cavaliers, à la vue des enseignes de la légion, redoublent d’ardeur. Sans désemparer, les cohortes, de tous côtés, se précipitent : tous les ennemis sont tués ou pris, et l’on fait un grand butin. Drappès même est fait prisonnier au cours de l’action. |
[37] Caninius felicissime re gesta sine ullo paene militis vulnere ad obsidendos oppidanos revertitur externoque hoste deleto, cuius timore antea dividere praesidia et munitione oppidanos circumdare prohibitus erat, opera undique imperat administrari. Venit eodem cum suis copiis postero die Gaius Fabius partemque oppidi sumit ad obsidendum. | 37 - Caninius, après cette affaire si heureusement menée, sans qu’il n’eût presque aucun blessé, retourne assiéger les gens d’Uxellodunum et, débarrassé maintenant de l’ennemi extérieur, dont la crainte l’avait jusque-là empêché de disperser ses forces dans des postes et d’investir complètement la place, il ordonne qu’on travaille partout à la fortification. Laïus Fabius arrive le lendemain avec ses troupes, et se charge d’un secteur d’investissement. |
[38] Caesar interim M. Antonium quaestorem cum cohortibus XV in Bellovacis relinquit, ne qua rursus novorum consiliorum capiendorum Belgis facultas daretur. Ipse reliquas civitates adit, obsides plures imperat, timentes omnium animos consolatione sanat. Cum in Carnutes venisset, quorum in civitate superiore commentario Caesar exposuit initium belli esse ortum, quod praecipue eos propter conscientiam facti timere animadvertebat, quo celerius civitatem timore liberaret, principem sceleris illius et concitatorem belli, Gutruatum, ad supplicium depoposcit. Qui etsi ne civibus quidem suis se committebat, tamen celeriter omnium cura quaesitus in castra perducitur. Cogitur in eius supplicium Caesar contra suam naturam concursu maximo militum, qui ei omnia pericula et detrimenta belli accepta referebant, adeo ut verberibus exanimatum corpus securi feriretur. | 38 - Cependant César laisse son questeur Marcus Antonius avec quinze cohortes chez les Bellovaques, pour que les Belges ne puissent pas une fois encore former des projets de révolte. Il va lui-même chez les autres peuples, se fait livrer de nouveaux otages, ramène des idées saines dans les esprits qui tous étaient en proie à la peur. Arrivé chez les Carnutes, dont César a raconté dans le précédent commentaire comment la guerre avait pris naissance dans leur citée, voyant que leurs alarmes étaient particulièrement vives, parce qu’ils avaient conscience de la gravité de leur faute, afin d’en libérer plus vite l’ensemble de la population, il demande qu’on lui livre, pour le châtier, Gutuater, principal coupable et auteur responsable de la guerre. Bien que le personnage ne se fiât plus même à ses propres concitoyens, néanmoins, chacun s’appliquant à le rechercher, on l’amène promptement au camp. César, malgré sa naturelle clémence, est contraint de le livrer au supplice par les soldats accourus en foule : ils mettaient à son compte tous les dangers courus, tous les maux soufferts au cours de la guerre, et il fallut qu’il fût d’abord frappé de verges jusqu’à perdre connaissance, avant que la hache l’achevât. |
[39] Ibi crebris litteris Canini fit certior quae de Drappete et Lucterio gesta essent, quoque in consilio permanerent oppidani. Quorum etsi paucitatem contemnebat, tamen pertinaciam magna poena esse adficiendam iudicabat, ne universa Gallia non sibi vires defuisse ad resistendum Romanis, sed constantiam putaret, neve hoc exemplo ceterae civitates locorum opportunitate fretae se vindicarent in libertatem, cum omnibus Gallis notum esse sciret reliquam esse unam aestatem suae provinciae, quam si sustinere potuissent, nullum ultra periculum vererentur. Itaque Q. Calenum legatum cum legionibus reliquit qui iustis itineribus subsequeretur ; ipse cum omni equitatu quam potest celerrime ad Caninium contendit. | 39 - César était chez les Carnutes quand il reçoit coup sur coup plusieurs lettres de Caninius l’informant de ce qui avait été fait concernant Drappès et Luctérios, et de la résistance à laquelle s’obstinaient les habitants d’Uxellodunum. Bien que leur petit nombre lui parût méprisable, il estimait cependant qu’il fallait châtier sévèrement leur opiniâtreté, afin que l’ensemble des Gaulois n’en vînt pas à s’imaginer que ce qui leur avait manqué pour tenir tête aux Romains, ce n’était pas la force, mais la constance, et pour éviter que, se réglant sur cet exemple, les autres cités ne cherchassent à se rendre libres en profitant de positions avantageuses : car toute la Gaule, il ne l’ignorait pas, savait qu’il ne lui restait plus qu’un été à passer dans sa Province, et s’ils pouvaient tenir pendant ce temps-là, ils n’auraient ensuite plus rien à craindre. Il laissa donc son légat Quintus Calénus, à la tête de deux légions, avec ordre de le suivre à étapes normales ; quant à lui, avec toute la cavalerie, il va rejoindre Caninius à marches forcées. |
[40] Cum contra exspectationem omnium Caesar Uxellodunum venisset oppidumque operibus clausum animadverteret neque ab oppugnatione recedi videret ulla condicione posse, magna autem copia frumenti abundare oppidanos ex perfugis cognosset, aqua prohibere hostem temptare coepit. Flumen infimam vallem dividebat, quae totum paene montem cingebat, in quo positum erat praeruptum undique oppidum Uxellodunum. Hoc avertere loci natura prohibebat : in infimis enim sic radicibus montis ferebatur, ut nullam in partem depressis fossis derivari posset. Erat autem oppidanis difficilis et praeruptus eo descensus, ut prohibentibus nostris sine vulneribus ac periculo vitae neque adire flumen neque arduo se recipere possent ascensu. Qua difficultate eorum cognita Caesar sagittariis funditoribusque dispositis, tormentis etiam quibusdam locis contra facillimos descensus collocatis aqua fluminis prohibebat oppidanos. | 40 - Son arrivée à Uxellodunum surprit tout le monde ; quand il vit que les travaux de fortification entouraient complètement la place, il jugea qu’à aucun prix on ne pouvait lever le siège ; et comme des déserteurs lui avaient appris que les assiégés avaient d’abondantes provisions de blé, il voulut essayer de les priver d’eau. Une rivière coulait au milieu d’une vallée profonde qui entourait presque complètement la montagne sur laquelle était juché Uxellodunum. Détourner la rivière, le terrain ne s’y prêtait pas : elle coulait, en effet, au pied de la montagne dans la partie la plus basse, si bien qu’en aucun endroit on ne pouvait creuser des fossés de dérivation. Mais les assiégés n’y avaient accès que par une descente difficile et abrupte : pour peu que les nôtres en défendissent l’abord, ils ne pouvaient ni approcher de la rivière, ni remonter, pour rentrer, la pente raide, sans s’exposer aux coups et risquer la mort. S’étant rendu compte de ces difficultés que rencontrait l’ennemi, César posta des archers et des frondeurs, plaça même de l’artillerie sur certains points en face des pentes les plus aisées, et ainsi il empêchait les assiégés d’aller puiser l’eau de la rivière. |
[41] Quorum omnis postea multitudo aquatorum unum in locum conveniebat sub ipsius oppidi murum, ubi magnus fons aquae prorumpebat ab ea parte, quae fere pedum CCC intervallo fluminis circuitu vacabat. Hoc fonte prohiberi posse oppidanos cum optarent reliqui, Caesar unus videret, e regione eius vineas agere adversus montem et aggerem instruere coepit magno cum labore et continua dimicatione. Oppidani enim loco superiore decurrunt et eminus sine periculo proeliantur multosque pertinaciter succedentes vulnerant ; non deterrentur tamen milites nostri vineas proferre et labore atque operibus locorum vincere difficultates. Eodem tempore cuniculos tectos ab vineis agunt ad caput fontis ; quod genus operis sine ullo periculo, sine suspicione hostium facere licebat. Exstruitur agger in altitudinem pedum sexaginta, collocatur in eo turris decem tabulatorum, non quidem quae moenibus aequaret (id enim nullis operibus effici poterat), sed quae superare fontis fastigium posset. Ex ea cum tela tormentis iacerentur ad fontis aditum, nec sine periculo possent aquari oppidani, non tantum pecora atque iumenta, sed etiam magna hostium multitudo siti consumebatur. | 41 - Alors ils se mirent à venir tous chercher de l’eau en un seul endroit, au pied même du mur de la ville, où jaillissait une source abondante, du côté que laissait libre, sur une longueur d’environ trois cents pieds, le circuit de la rivière. Chacun souhaitait qu’il fût possible d’interdire aux assiégés l’accès de cette source, mais César seul en voyait le moyen il entreprit de faire, face à la source, pousser des mantelets le long de la pente et construire un terrassement au prix d’un dur travail et de continuelles escarmouches. Les assiégés, en effet, descendant au pas de course de leur position qui dominait la nôtre, combattent de loin sans avoir rien à craindre et blessent un grand nombre de nos hommes qui s’obstinent à avancer ; pourtant, cela n’empêche pas nos soldats de faire progresser les mantelets et, à force de fatigue et de travaux, de vaincre les difficultés du terrain. En même temps, ils creusent des conduits souterrains dans la direction des filets d’eau et de la source où ceux-ci aboutissaient ; ce genre de travail pouvait être accompli sans aucun danger et sans que l’ennemi le soupçonnât. On construit un terrassement de soixante pieds de haut, on y installe une tour de dix étages, qui sans doute n’atteignait pas la hauteur des murs (il n’était pas d’ouvrage qui permît d’obtenir ce résultat), mais qui, du moins, dominait l’endroit où naissait la source. Du haut de cette tour, de l’artillerie lançait des projectiles sur le point par où on l’abordait, et les assiégés ne pouvaient venir chercher de l’eau sans risquer leur vie si bien que non seulement le bétail et les bêtes de somme, mais encore la nombreuse population de la ville souffraient de la soif. |
[42] Quo malo perterriti oppidani cupas sebo, pice, scandulis complent ; eas ardentes in opera provolvunt eodemque tempore acerrime proeliantur, ut ab incendio restinguendo dimicationis periculo deterreant Romanos. Magna repente in ipsis operibus flamma exstitit. Quaecumque enim per locum praecipitem missa erant, ea vineis et aggere suppressa comprehendebant id ipsum quod morabatur. Milites contra nostri, quamquam periculoso genere proeli locoque iniquo premebantur, tamen omnia fortissimo sustinebant animo. Res enim gerebatur et excelso loco et in conspectu exercitus nostri, magnusque utrimque clamor oriebatur. Ita quam quisque poterat maxime insignis, quo notior testatiorque virtus esset eius, telis hostium flammaeque se offerebat. | 42 - Une aussi grave menace alarme les assiégés, qui, remplissant des tonneaux avec du suif de la poix et de minces lattes de bois, les font rouler en flammes sur nos ouvrages. Dans le même temps, ils engagent un combat des plus vifs, afin que les Romains, occupés à une lutte dangereuse, ne puissent songer à éteindre le feu. Un violent incendie éclate brusquement au milieu de nos ouvrages. En effet, tout ce qui avait été lancé sur la pente, étant arrêté par les mantelets et par la terrasse, mettait le feu à ces obstacles mêmes. Cependant nos soldats, malgré les difficultés que leur créaient un genre de combat si périlleux et le désavantage de la position, faisaient face à tout avec le plus grand courage. L’action, en effet, se déroulait sur une hauteur, à la vue de notre armée, et des deux côtés on poussait de grands cris. Aussi chacun s’exposait-il aux traits des ennemis et aux flammes avec d’autant plus d’audace qu’il avait plus de réputation, voyant là un moyen que sa valeur fût mieux connue et mieux attestée. |
[43] Caesar cum complures suos vulnerari videret, ex omnibus oppidi partibus cohortes montem ascendere et simulatione moenium occupandorum clamorem undique iubet tollere. Quo facto perterriti oppidani, cum quid ageretur in locis reliquis essent suspensi, revocant ab impugnandis operibus armatos murisque disponunt. Ita nostri fine proeli facto celeriter opera flamma comprehensa partim restinguunt, partim interscindunt. Cum pertinaciter resisterent oppidani, magna etiam parte amissa siti suorum in sententia permanerent, ad postremum cuniculis venae fontis intercisae sunt atque aversae. Quo facto repente perennis exaruit fons tantamque attulit oppidanis salutis desperationem, ut id non hominum consilio, sed deorum voluntate factum putarent. Itaque se necessitate coacti tradiderunt. | 43 - César, voyant qu’un grand nombre de ses hommes étaient blessés, ordonne aux cohortes de monter de tous les côtés à l’assaut de la montagne et de pousser partout des clameurs pour faire croire qu’elles sont en train d’occuper les remparts. Ainsi fait-on, et les assiégés, fort alarmés, car ils ne savaient que supposer sur ce qui se passait ailleurs, rappellent les soldats qui assaillaient nos ouvrages et les dispersent sur la muraille. Ainsi le combat prend fin et nos hommes ont vite fait ou d’éteindre l’incendie ou de faire la part du feu. La résistance des assiégés se prolongeait, opiniâtre, et bien qu’un grand nombre d’entre eux fussent morts de soif, ils ne cédaient pas à la fin, les ruisselets qui alimentaient la source furent coupés par nos canaux souterrains et détournés de leur cours. Alors la source, qui ne tarissait jamais, fut brusquement à sec, et les assiégés se sentirent du coup si irrémédiablement perdus qu’ils virent là l’effet non de l’industrie humaine, mais de la volonté divine. Aussi, cédant à la nécessité, ils se rendirent. |
[44] Caesar, cum suam lenitatem cognitam omnibus sciret neque vereretur ne quid crudelitate naturae videretur asperius fecisse, neque exitum consiliorum suorum animadverteret, si tali ratione diversis in locis plures consilia inissent, exemplo supplici deterrendos reliquos existimavit. Itaque omnibus qui arma tulerant manus praecidit vitamque concessit, quo testatior esset poena improborum. Drappes, quem captum esse a Caninio docui, sive indignitate et dolore vinculorum sive timore gravioris supplici paucis diebus cibo se abstinuit atque ita interiit. Eodem tempore Lacterius, quem profugisse ex proelio scripsi, cum in potestatem venisset Epasnacti Arverni (crebro enim mutandis locis multorum fidei se committebat, quod nusquam diutius sine periculo commoraturus videbatur, cum sibi conscius esset, quam inimicum deberet Caesarem habere), hunc Epasnactus Arvernus, amicissimus populi Romani, sine dubitatione ulla vinctum ad Caesarem deduxit. | 44 - César savait que sa bonté était connue de tous et il n’avait pas à craindre qu’on n’expliquât par la cruauté de son caractère un acte de rigueur ; comme, d’autre part, il ne voyait pas l’achèvement de ses desseins, si d’autres, sur divers points de la Gaule, se lançaient dans de semblables entreprises, il estima qu’il fallait les en détourner par un châtiment exemplaire. En conséquence, il fit couper les mains à tous ceux qui avaient porté les armes et leur accorda la vie sauve, pour qu’on sût mieux comment il punissait les rebelles. Drappès, qui, je l’ai dit, avait été fait prisonnier par Caninius, soit qu’il ne pût supporter l’humiliation d’être dans les fers, soit qu’il redoutât les tourments d’un cruel supplice, s’abstint pendant quelques jours de nourriture et mourut de faim. Dans le même temps Luctérios, dont j’ai rapporté qu’il avait pu s’enfuir de la bataille, était venu se mettre entre les mains de l’Arverne Epasnactos : il changeait, en effet, souvent de résidence, et ne se confiait pas longtemps au même hôte, car, sachant combien César devait le haïr, il estimait dangereux tout séjour de quelque durée : l’Arverne Epasnactos, qui était un grand ami du peuple Romain, sans aucune hésitation le fit charger de chaînes et l’amena à César. |