La reddition en – 51

« A l’aube d’un beau jour de septembre de l’an 51 avant notre ère, le grand Jules César, ses généraux et leurs suites d’hommes gravirent le sentier amenant à la petite ville d’Uxellodunum. César et toute l’armée romaine allaient enfin pouvoir franchir les fiers et immenses murs pour constater leur victoire et punir les insoumis qui depuis deux mois, résistaient à la plus grande armée de tous les temps.

Le futur dictateur romain allait pouvoir assouvir sa vengeance, et appliquer une sentence exemplaire à ces 2 000 derniers Celtes qui tentèrent de sauvegarder leur liberté, face à plus de 30 000 légionnaires romains.

Après quelques minutes d’ascension, les troupes de Rome purent approcher de l’imposante porte de la cité gauloise. Plus aucun défenseur n’était là pour la défendre, la poignée d’irréductibles avait cédé face au génie de César.

En effet le grand stratège romain savait que cette citadelle aurait été imprenable par la force, et il avait dû ruser, en faisant tarir la seule fontaine d’Uxellodunum.

Dans la cité gauloise, les habitants vaincus, et très affaiblis par ces longs jours de lutte, s’étaient rassemblés sur la place de la ville, et attendaient courageusement l’arrivée des vainqueurs.

Les Gaulois savaient que leur résistance avait été exemplaire, et que leur châtiment serait à la hauteur de leur bravoure.

Arrivés devant le peuple d’Uxellodunum, les Romains enchaînèrent tous les hommes en âge de porter les armes. La sentence allait être prononcée. Plusieurs billots furent dressés.

César, désirant que la rébellion de cette bourgade n’entraîne pas une révolte générale, décida d’infliger à ces hommes un châtiment qui marquerait la mémoire de tout le pays, afin de dissuader les peuples qui souhaiteraient échapper à la puissance de Rome. Pire que la mort, le châtiment choisi par César fut de couper les mains à tous les défenseurs de la cité.

Il était conscient que la vision de ces géants guerriers celtes, privés de leurs mains, terroriserait toutes les bourgades des alentours. Malgré leur courage légendaire, nombreux ne résistèrent pas à la souffrance et moururent des suites de cet affreux châtiment.

C’est ainsi que les derniers représentants d’une des plus grandes civilisations furent traités. Encore aujourd’hui, lorsque l’on se rend à Capdenac, sur les lieux de l’ancienne ville d’Uxellodunum, le visiteur sensible pourra ressentir une émotion étrange, qui ne se retrouve que sur les hauts lieux de l’histoire humaine.

Uxellodunum fut, bien avant Montségur, le symbole de la résistance face à l’oppression, et de l’espoir et de la foi de quelques hommes, qui luttèrent jusqu’au bout pour ce qui est le bien le plus cher, la liberté. »

Illustration de l'agger de Capdenac-Uxellodunum

L’agger

Les protagonistes du siège d’Uxellodunum

Drappès

Drappès – Chef d’origine sénone. En 51 av. J.-C., il tente avec Lucterios d’envahir la Provincia. Pourchassé par les deux légions de Caninius, il est obligé de se réfugier à Uxellodunum. Lors d’une sortie du camp pour aller chercher des vivres, il tombe entre les mains de Caninius puis se laisse mourir de faim.

Luctérios

Luctérios – Ce chef Cadurque soutient Vercingétorix en – 52 . Ce dernier l’envoie chez les Ruthènes pour les rallier à la cause gauloise. En 51 avant J.-C., allié avec Drappès, il projette de s’attaquer à la Provincia. Menacé par Caninius, il se réfugie à Uxellodunum. Mais, lors d’une sortie du camp avec Drappès, il réussit à échapper aux Romains avec une poignée d’hommes, mais il ne rentre pas au village. Il cherche alors refuge chez le chef Arverne Epasnactos, qui, rallié à l’empire romain, le livre à César.

 

Buste de Lucterios

Buste de Lucterios – Bibliothèque municipale de Cahors

 

Jules César

Jules César (latin : « CAIVS IVLIVS CAESAR IV » à sa naissance, et « IMPERATOR CAIVS IVLIVS CAESAR DIVVS » après sa mort) est un général, homme politique et écrivain romain, né à Rome le 12 ou le 13 juillet 100 av. J.-C. et mort le 15 mars 44 av. J.-C. (aux Ides de Mars). Son destin exceptionnel marqua le monde romain et l’histoire universelle : ambitieux et brillant, il s’appuya sur le courant réformateur et démagogue pour son ascension politique ; stratège et tacticien habile, il repoussa les frontières romaines jusqu’au Rhin et à l’océan Atlantique en conquérant la Gaule, puis utilisa ses légions pour s’emparer du pouvoir.

Il se fit nommer dictateur à vie, et fut assassiné peu après par une conspiration de sénateurs. Il fut divinisé et son fils adoptif Octave, vainqueur de Marc Antoine, acheva la réforme de la République romaine, qui laissa place au principat et à l’Empire romain.

César, souvent cité par Hirtius dans le livre VIII de la guerre des Gaules, était bien présent à Uxellodunum dont il en a dirigé le siège jusqu’à la victoire finale.

 

Buste de Jules César

Buste de Jules César, découvert à Arles, seul portrait, avec celui du musée de Turin, considéré comme réalisé de son vivant

 

Hirtius

Hirtius (Aulus Hirtius) – Homme de guerre romain, né en – 90, décédé le 21 Avril – 43, ami de César qu’il accompagne en Gaule ; consul en – 43, il est tué la même année. Après la mort de César, il écrit le livre VIII de la Guerre des Gaules qui relate la prise d’Uxellodunum.

 

Le livre VIII de la Guerre des Gaules

Dans le livre VIII de la Guerre des Gaules, Aulus Hirtius, compagnon et secrétaire de Jules César, rapporte avec de nombreux détails le siège d’Uxellodunum, dernier bastion de la résistance Celtique à l’envahisseur Romain. Ce document essentiel a fait l’objet de nombreuses éditions, traductions et études de Ch. Louandre, Orose, J-J Champollion, M. Nisard, L. A. Constans, A. Sors, J. Ventach, Itard et Noché, etc. …

Nous reproduisons ici la traduction proposée par Jacques-Joseph Champollion, dit « Champollion-Figeac », qui a passé plusieurs mois sur le terrain à examiner les différentes hypothèses sur l’emplacement d’Uxellodunum. En conclusion de ses travaux, en 1820, il publie l’ouvrage intitulé « Nouvelles recherches sur la ville gauloise d’Uxellodunum », qui démontre sans ambigüité qu’Uxellodunum est bien Capdenac.

Commentaires sur la Guerre des Gaules

Texte d’Aulus Hirtius, Livre VIII

Le huitième livre des « Commentaires sur la guerre des Gaules », contient l’épisode tragique de la prise d’Uxellodunum. Il n’a pas été écrit par Jules César, mais par Aulus Hirtius, lieutenant de ce dernier et considéré comme témoin des faits.

Champollion-Figeac, notamment, insiste sur le fait que seul un « témoin oculaire » peut donner des détails aussi précis que ceux fournis dans le livre VIII, détails qui nécessitent « une complète connaissance » du terrain. Dans ses « Nouvelles recherches sur la ville gauloise d’Uxellodunum », il nous dit, page 22 :

« … En écrivant le court prologue qu’il a placé avant le dernier livre des Commentaires, Hirtius nous déclare en effet qu’en écrivant sur la guerre des Gaules, sur la guerre d’Egypte et sur celle d’Afrique, c’est d’après ce que lui en a appris César lui-même, ou d’après ce qu’il en a vu. Comme il vient de dire qu’il n’a pas vu les guerres d’Egypte ni d’Afrique, ce ne peut être que de la guerre des Gaules dont il va parler en tant que témoin oculaire. Sa précision à l’égard de la topographie d’Uxellodunum pourra servir à le prouver… »

Le texte : Extraits du livre VIII de la Guerre des Gaules
(traduction proposée par Jacques-Joseph Champollion)

« Chapitre XXX. On savoit que Drappes de Sens ayant rallié deux mille hommes au plus de cette déroute, se dirigeoit vers la Province, et que Lucter du Quercy avoit pris avec lui la même résolution. Caninius se mit à leur poursuite avec deux légions : il ne vouloit pas s’exposer au déshonneur de livrer la Province aux ravages ou aux terreurs que pouvoient lui faire éprouver les brigandages de ces aventuriers.

Chapitre XXXI. (Ce chapitre étant étranger à la marche de Drappes, on ne le rapporte pas).

Chapitre XXXII. Informés de l’approche de Caninius avec ses légions, et convaincus qu’avec cette armée sur leurs derrières, ils ne pourroient, sans une perte certaine, franchir les frontières de la Province ; assez pressés d’ailleurs pour ne pouvoir librement parcourir le pays et s’y livrer à leur brigandage, ils s’arrêtent dans le Quercy. Là, du temps de sa prospérité, Lucter avoit été très-puissant chez ses compatriotes. Homme inquiet et entreprenant, il exerçoit sur ces barbares une grande influence : dans sa dépendance avoit été Uxellodunum, place singulièrement forte par sa situation ; il y entra avec ses troupes, celles de Drappes, et entraîna les habitans dans ses desseins.

Chapitre XXXIII. Caninius arriva presque aussitôt devant cette place ; il reconnut qu’elle étoit de toute part défendue par des rocs très-escarpés, d’un difficile accès pour des hommes armés qui ne trouveroient même aucune opposition. Il apprit que ceux qui occupoient la ville avoient avec eux des bagages considérables ; et convaincu que, s’ils tentoient de les enlever en secret, il ne leur seroit pas possible d’échapper à la cavalerie, ni même à ses légions, il divisa ses cohortes en trois corps, les établit dans trois camps sur un lieu très élevé, d’où, peu à peu et autant que le nombre de ses troupes lui en laissoit la possibilité, il s’occupa à faire la contrevallation de la place.

Chapitre XXXIV. Les assiégés s’en étant aperçus, épouvantés du terrible souvenir d’Alésia et craignant d’éprouver un destin semblable ; Lucter surtout, qui en avoit partagé les périls, insistant particulièrement sur l’imminente nécessité d’approvisionner la ville, il fut résolu d’un commun accord qu’une partie de l’armée la garderoit, pendant qu’eux partiroient avec les troupes légères afin d’y introduire des grains ; et la nuit suivante, en effet, Drappes et Lucter, y laissant deux mille hommes armés, en sortirent avec le reste des troupes. Ils parvinrent à ramasser une grande quantité de blé sur le territoire même du Quercy, et quoiqu’ils n’y fussent restés que peu de jours, car la plupart des habitans s’empressèrent de les seconder en leur livrant ces grains, et les autres ne pouvoient les empêcher d’en prendre. En même temps, les troupes gauloises attaquoient fréquemment nos postes pendant la nuit ; ce qui obligea C. Caninius de retarder l’achèvement de la contrevallation, pour ne pas s’exposer à ne pouvoir la défendre, ou à laisser sur plusieurs points des gardes insuffisantes.

Chapitre XXXV. Cette grande quantité de grains ayant été réunie, Drappes et Lucter s’établissent à dix milles de la place, dans le dessein de l’y introduire peu à peu. Chacun d’eux a sa partie de l’entreprise : Drappes doit commander le camp où restera une portion des troupes ; Lucter doit conduire le convoi dans Uxellodunum. Après avoir disposé son escorte, il part dès la dixième heure de la nuit et se dirige vers la ville, à travers les bois et par des chemins étroits et difficiles. Mais les sentinelles des camps ayant entendu le bruit des chevaux, et les hommes envoyés à la découverte ayant rapporté ce qui se passoit, Caninius réunit promptement les troupes qui occupoient les postes les plus voisins, et tomba, dès le point du jour, sur le convoi. Surpris par cette attaque subite, ceux qui le conduisoient se replient sur l’escorte ; nos soldats, excités par leur fuite, attaquent les hommes armés avec plus de vivacité, et ne laissent la vie à aucun de ceux qui sont pris. Lucter s’enfuit avec peu des siens, et ne se réfugie pas dans le camp.

Chapitre XXXVI. Après ce succès, Caninius sut, par des prisonniers, que Drappes, campé avec une autre portion des troupes, n’étoit plus qu’à sept milles de la place. Ce rapport ayant été confirmé par plusieurs d’entre eux, il espéra que la défaite du premier chef rendroit plus facile celle de l’autre, par la terreur qu’elle lui inspirerait. Il considéroit aussi comme une circonstance très heureuse, que de cette action il ne se fût sauvé personne pour porter à Drappes la nouvelle de ce désastre ; et ne voyant aucun danger à tenter cette seconde attaque, il dirige d’abord sur le camp ennemi toute la cavalerie, ainsi que l’infanterie germaine, composée d’hommes très-propres à des marches rapides. Il distribue une de ses légions dans les trois camps, et se met à la tête de l’autre, formée avec les troupes légères. En se rapprochant de l’ennemi, il sut, par les hommes qu’il avoit d’abord envoyés à la découverte, que les Gaulois, comme c’est leur coutume, ne s’étoient point assurés des hauteurs ; qu’ils campoient sur le bord de la rivière, et que l’infanterie germaine avec la cavalerie les ayant surpris à l’improviste, avoient imprudemment engagé le combat. Aussitôt il fait marcher sa légion en ordre de bataille, et le signal ayant été donné sur tous les points, les hauteurs sont de suite occupées. Dès-lors, et à l’aspect des enseignes de la légion, les Germains et la cavalerie combattent avec plus d’acharnement ; toutes (1) les cohortes donnent en même temps avec intrépidité, et les Gaulois sont tous pris ou tués. Le butin fut immense ; Drappes lui-même fut fait prisonnier.

Chapitre XXXVII. Cette expédition ayant complètement réussi, et presque sans avoir eu un soldat de blessé, Caninius alla reprendre le siège d’Uxellodunum. Ayant détruit les forces extérieures de l’ennemi, dont l’existence l’avoit empêché jusque-là de renforcer les gardes et de fermer la ville, il ordonna que les travaux fussent aussitôt entrepris sur tous les points. Le lendemain arriva C. Fabius avec ses troupes : il fut chargé du siège d’un côté de la place.

Chapitre XXXVIII. (On y lit que César laissa le questeur M. Antoine avec quinze cohortes dans le Beauvoisis, et se rendit à Chartres).

Chapitre XXXIX. C’est là qu’il apprit, par les dépêches réitérés de Caninius, ce qui s’étoit passé à l’égard de Drappes et de Lucter, et la persévérance des assiégés : il pouvoit n’y pas faire attention à cause de leur petit nombre ; mais il jugea que leur opiniâtreté devoit être exemplairement châtiée, afin que la Gaule entière ne vînt pas à croire qu’elle avoit assez de forces pour résister aux Romains, si elle savoit le vouloir fortement ; et craignant aussi qu’excitées par cet exemple, toutes les autres villes qui étoient favorisées par leur position, ne se déclarassent indépendantes ; sachant bien qu’il étoit connu de tous les Gaulois que son commandement expiroit dans une année, et qu’ils se flattoient que s’ils pouvoient tenir jusque-là, ils n’auroient après aucun danger à redouter. Il donna donc à Q. CALENUS, l’un de ses lieutenans, l’ordre de le suivre à marches réglées avec deux légions, et il se rendit lui-même, en toute diligence, avec la cavalerie, auprès de Caninius.

Chapitre XL. Arrivé devant Uxellodunum ; lorsqu’on l’y attendoit le moins, César reconnut que la ville étoit fermée par les ouvrages, et qu’on ne pouvoit en aucune manière éviter d’en faire le siège : comme elle étoit bien approvisionnée en grains, ce que les déserteurs rapportoient, il entreprit de la priver d’eau. Une rivière coupoit la profonde vallée qui entouroit presque entièrement la montagne sur laquelle étoit la ville d’Uxellodunum, de toute part escarpée. La nature du lieu ne permettoit pas de détourner cette rivière ; son lit étoit si profondément enfoncé au pied de la montagne, qu’on ne pouvoit sur aucun point pratiquer des canaux de dérivation. Toutefois les assiégés ne pouvoient y descendre que par des sentiers escarpés et difficiles ; de telle sorte que si nous nous y opposions, ils s’exposoient à être blessés, et même couroient le risque de la vie, soit en allant à la rivière, soit en remontant à la ville par une pente aussi rapide. Ayant reconnu leur mauvaise situation à cet égard, César plaça des archers et des frondeurs sur quelques points, des machines même sur d’autre, vers les descentes les plus preticables. Privés par-là des eaux de la rivière, les assiégés n’avoient plus qu’un seul lieu pour s’approvisionner, et ils s’y rendoient tous en foule.

Chapitre XLI. Sous le mur même de la ville surgissoit rapidement une abondante source d’eau vive, de ce côté qui, sur une largeur de trois cents pieds environ, n’est pas entouré par la rivière. Toute l’armée désiroit priver les assiégés de l’usage de cette fontaine ; César seul en conçut le moyen. Il fit d’abord, dans la direction de la fontaine et en gravissant contre la montagne, avancer des galeries d’approche et élever des terrassements, non sans beaucoup de difficultés et sans de continuels combats ; car les assiégés, occupant un point plus élevé, nous attaquoient de là sans péril, et faisoient beaucoup de mal à un grand nombre des nôtres, qui se remplaçoient avec une courageuse persévérance, sans être aucunement détournés de transporter les galeries d’approche, de surmonter par les travaux les obstacles qu’offrait le terrain. En même temps on dirigeoit de là des galeries souterraines vers l’issue de la fontaine ; genre d’ouvrage qui n’exposoit à aucun danger, et que l’ennemi ne soupçonnoit pas même. On consruisit aussi une terrasse haute de neuf pieds sur laquelle on établit une tour à dix étages, non à la vérité pour égaler la hauteur des murs de la ville (on n’auroit pu y parvenir par aucune espèce d’ouvrages), mais pour dominer le faîte de la fontaine. Sur ces abords, on lançoit des traits du haut de la tour, au moyen des machines ; les assiégés ne pouvoient, sans péril, s’y approvisionner, et il en mourroit un grand nombre de soif, ainsi que beaucoup de bétail et de chevaux.

Chapitre XLII. Frappés de cette calamité, les assiégés remplissent de suif, de poix et de bardeaux, des tonneaux auxquels ils mettent le feu, et ils les font rouler tout enflammés sur nos ouvrages. En même temps ils attaquent avec acharnement, dans l’intention, par ce moyen et par l’imminence du danger, de détourner les Romains, d’arrêter l’embrasement des ouvrages. Ils furent bientôt saisis par le feu ; les tonneaux enflammés qui avaient été jetés par cette pente rapide, étant arrêtés par les galeries d’approche et par la terrasse, communiquoient le feu à tout ce qui les retenoit. Nos soldats néanmoins, quoique très-exposés par ce genre périlleux de combat, et par le désavantage de leur position, supportoient tout courageusement ; car cela se passoit sur un point élevé, à la vue même de notre armée ; de grands cris s’élevoient de l’un et de l’autre côté, et chacun de nos soldats, d’autant plus jaloux de montrer son courage que l’occasion le rendoit plus manifeste et plus éclatant, s’exposoit à l’envi aux périls de l’incendie et aux traits de l’ennemi.

Chapitre XLIII. Beaucoup des siens recevant de graves blessures, César ordonna, sur tous les points, aux cohortes de gravir contre la montagne et de pousser un grand cri sur toute la ligne, comme si l’on vouloit s’emparer des remparts. Effrayés par ce mouvement, ignorant aussi ce qui se passoit sur d’autres points, les assiégés, dans cette incertitude, rappellent aussitôt ceux qu’ils avoient chargés d’attaquer nos ouvrages, et les rangent sur les murailles. Le combat ayant ainsi cessé, nous pûmes en toute hâte, sauver nos ouvrages du feu, soit en l’éteignant, soit en le coupant. Les assiégés continuoient opiniâtrement leur résistance ; ils avoient vu périr de soif grand nombre des leurs, et ils n’en persévéroient pas moins dans leur résolution. Enfin, par les galeries souterraines, on parvint à couper les eaux, à les détourner, et cette fontaine, toujours très abondante, se trouva subitement tarie. Les assiégés en conçurent un tel désespoir, que y voyant, non une opération humaine, mais la manifestation d’une volonté divine, et cédant à l’empire de la nécessité, ils se rendirent.

Chapitre XLIV. César, qui savoit que son humanité étoit connue de tous, et qui ne craignoit point qu’on l’accusât d’avoir, par cruauté, commis des actes d’une excessive rigueur ; et ne perdant point de vue l’effet de sa résolution, si, dans d’autres lieux et pour de pareils motifs, on tentoit de se révolter, voulut tout contenir dans le devoir par l’exemple des châtimens, et fit couper les mains à, tous ceux qui avoient porté les armes : il leur laissa la vie, comme pour rendre plus authentique et plus durable le souvenir de la punition des méchans. Drappes, que nous avions dit avoir été pris par Caninius, soit indignation ou douleur que lui causoient ses fers, soit par crainte d’un plus cruel supplice, se laissa mourir en s’abstenant de nourriture durant très-peu de jours. En même temps, Lucter, qui avoit échappé au combat, étoit tombé entre les mains de l’Arverne Épasnact : obligé de changer souvent de refuge, il l’étoit aussi de se commettre à la foi de bien du monde, ne pouvant être longtemps en sûreté dans le même lieu, et sachant bien quel ennemi il avoit en César. Épasnact, tout dévoué aux Romains, s’empressa, sans aucune hésitation, de livrer Lucter enchaîné à César ».

 

Denier romain en argent avec la tête d’un Gaulois captif

Denier romain en argent avec la tête d’un Gaulois captif (48 av. J.-C.)

 

Que ce livre VIII soit peu précis et rédigé après la mort de César, que les explications d’Hirtius soient sujettes à controverses, que l’auteur ait ou non pris part à la Guerre des Gaules ou assisté au siège d’Uxellodunum, qu’il ait ou non mélangé les lieux, qu’il y ait eu plusieurs « dernier bastion de résistance gauloise » dépeints comme un seul site, que les détails topographiques soient douteux, et que l’ouvrage soulève des interrogations, tout cela ne change rien à un fait : le livre VIII d’Hirtius est le seul document dont nous disposions et si l’on veut tenter une recherche, on ne peut s’appuyer que sur ce seul écrit, tel qu’il est.

En résumé….

… Uxellodunum est une ville (répété plusieurs fois dans le texte), dont on ne peut éviter de faire le siège, fermée par des murailles, pouvant être défendue par 2000 hommes, presque entourée par une seule vallée dans laquelle une seule rivière (flumen), coule à la racine même du mont supportant l’oppidum escarpé de toutes parts. Cette rivière est indétournable. César poste des archers, des frondeurs et des machines de guerre sur l’autre rive, pour interdire aux Gaulois de venir y puiser de l’eau par les pentes abruptes. Les Gaulois peuvent attaquer de nuit et empêcher les travaux Romains de contrevallation. Une fontaine abondante jaillit au pied même du mur de la ville du côté que laisse libre sur une largeur de 300 pieds (100m), le circuit de la rivière. Les 3 camps Romains situés sur un endroit élevé, dont un au moins est à portée de voix, permettent de surveiller les travaux et de voir dans la place. César fait construire une terrasse de 18 m sur laquelle on bâtit une tour de 10 étages (+/- 26 m), face à la fontaine. Les Gaulois font rouler des tonneaux de suif et de poix enflammés vers les ouvrages Romains et engagent en même temps un vif combat. Les Gaulois descendent la pente au pas de course et combattent de loin, sans risque. A l’insu des Gaulois, César fait creuser des galeries vers les veines alimentant la fontaine afin de l’assécher. Après le soudain tarissement de leur source, se croyant abandonnés de leurs Dieux, les Gaulois se rendent … Afin de faire un exemple, César fait couper les mains de ceux qui avaient porté les armes…

 

Illustration de légionnaire romain

Légionnaire romain du Ier siècle av J-C

 

Illustration de guerrier celte

Guerrier celte du Ier siècle av. J-C

 

Livre VIII – La Guerre des Gaules : latin / français

Livre VIII – La Guerre des Gaules
LIBER OCTAVVS ab A. Hirtio scriptus
Traduction L. A. Constans. Paris : Société d’édition Les Belles lettres – 1926
[30] Qua ex fuga cum constaret Drappetem Senonem, qui, ut primum defecerat Gallia, collectis undique perditis hominibus, servis ad libertatem vocatis, exulibus omnium civitatum adscitis, receptis latronibus impedimenta et commeatus Romanorum interceperat, non amplius hominum duobus milibus ex fuga collectis provinciam petere unaque consilium cum eo Lucterium Cadurcum cepisse, quem superiore commentario prima defectione Galliae facere in provinciam voluisse impetum cognitum est, Caninius legatus cum legionibus duabus ad eos persequendos contendit, ne detrimento aut timore provinciae magna infamia perditorum hominum latrociniis caperetur. 30 – Comme on savait qu’après cette déroute le Sénon Drappès, qui, dès le début du soulèvement de la Gaule avait rassemblé de toute part des gens sans aveu, appelé les esclaves à la liberté, fait venir à lui les bannis de toutes les cités, accueilli les voleurs, et intercepté les convois de bagages et de ravitaillement des Romains, comme on savait que ce Drappès avait formé avec les restes de l’armée en fuite une troupe atteignant au plus deux mille hommes et marchait sur la Province, qu’il avait pour complice le Cadurque Luctérios qui, au début de la révolte gauloise, s’était proposé, comme on l’a vu dans le commentaire précédent, d’envahir la Province, le légat Caninius se lança à leur poursuite avec deux légions, ne voulant pas que la Province eût à souffrir ou que la peur s’emparât d’elle, et qu’ainsi nous fussions déshonorés par les brigandages d’une bande criminelle.
[31] Gaius Fabius cum reliquo exercitu in Carnutes ceterasque proficiscitur civitates, quarum eo proelio, quod cum Dumnaco fecerat, copias esse accisas sciebat. Non enim dubitabat quin recenti calamitate summissiores essent futurae, dato vero spatio ac tempore eodem instigante Dumnaco possent concitari. Qua in re summa felicitas celeritasque in recipiendis civitatibus Fabium consequitur. Nam Carnutes, qui saepe vexati numquam pacis fecerant mentionem, datis obsidibus veniunt in deditionem, ceteraeque civitates positae in ultimis Galliae finibus Oceano coniunctae, quae Aremoricae appellantur, auctoritate adductae Carnutum adventu Fabi legionumque imperata sine mora faciunt. Dumnacus suis finibus expulsus errans latitansque solus extremas Galliae regiones petere est coactus. 31 – Caïus Fabius, avec le reste de l’armée, part chez les Carnutes et les autres peuples dont il savait que les forces avaient été très éprouvées dans le combat qu’il avait livré à Dumnacos. Il ne doutait pas, en effet, que la défaite qui venait de leur être infligée ne dût les rendre moins fiers, mais non plus que, s’il leur en laissait le temps, ils ne pussent, excités par ce même Dumnacos, relever la tête. En cette occurrence, Fabius eut la chance de pouvoir procéder, dans la soumission des cités, avec la plus heureuse promptitude. Les Carnutes, qui, bien que souvent éprouvés, n’avaient jamais parlé de paix, donnent des otages et se soumettent ; les autres cités, situées aux confins de la Gaule, touchant à l’océan, et qu’on appelle armoricaines, entraînées par l’exemple des Carnutes, remplissent sans délai, à l’approche de Fabius et de ses légions, les conditions imposées. Dumnacos, chassé de son pays, dut, errant et se cachant, aller chercher un refuge dans la partie la plus retirée de la Gaule.
[32] At Drappes unaque Lucterius, cum legiones Caniniumque adesse cognoscerent nec se sine certa pernicie persequente exercitu putarent provinciae fines intrare posse nec iam libere vagandi latrociniorumque faciendorum facultatem haberent, in finibus consistunt Cadurcorum. Ibi cum Lucterius apud suos cives quondam integris rebus multum potuisset, semperque auctor novorum consiliorum magnam apud barbaros auctoritatem haberet, oppidum Uxellodunum, quod in clientela fuerat eius, egregie natura loci munitum, occupat suis et Drappetis copiis oppidanosque sibi coniungit. 32 – Mais Drappès et avec lui Luctérios, sachant que Caninius et ses légions étaient tout proches et se pensant certainement perdus s’ils pénétraient sur le territoire de la Province avec une armée à leurs trousses, n’ayant d’ailleurs plus la possibilité de battre librement la campagne en commettant des brigandages, s’arrêtent dans le pays des Cadurques. Luctérios y avait joui autrefois, avant la défaite, d’une grande influence sur ses concitoyens, et maintenant même ses excitations à la révolte rencontraient auprès de ces Barbares un grand crédit : il occupe avec ses troupes et celles de Drappès la ville d’Uxellodunum, qui avait été dans sa clientèle ; c’était une place remarquablement défendue par la nature ; il en gagne à sa cause les habitants.
[33] Quo cum confestim Gaius Caninius venisset animadverteretque omnes oppidi partes praeruptissimis saxis esse munitas, quo defendente nullo tamen armatis ascendere esset difficile, magna autem impedimenta oppidanorum videret, quae si clandestina fuga subtrahere conarentur, effugere non modo equitatum, sed ne legiones quidem possent, tripertito cohortibus divisis trina excelsissimo loco castra fecit ; a quibus paulatim, quantum copiae patiebantur, vallum in oppidi circuitum ducere instituit. 33 – Caïus Caninius y vint tout aussitôt ; se rendant compte que de tous côtés la place était défendue par des rochers à pic, dont l’escalade, même en l’absence de tout défenseur, était difficile pour des hommes portant leurs armes, voyant, d’autre part, qu’il y avait dans la ville une grande quantité de bagages et que, si l’on essayait de fuir secrètement en les emportant, il n’était pas possible d’échapper non seulement à la cavalerie, mais aux légionnaires même, il divisa ses cohortes en trois corps et les établit dans trois camps placés sur des points très élevés ; en partant de là, il entreprit de construire peu à peu, selon ce que permettaient ses effectifs, un retranchement qui faisait le tour de la ville
[34] Quod cum animadverterent oppidani miserrimaque Alesiae memoria solliciti similem casum obsessionis vererentur, maximeque ex omnibus Lucterius, qui fortunae illius periculum fecerat, moneret frumenti rationem esse habendam, constituunt omnium consensu parte ibi relicta copiarum ipsi cum expeditis ad importandum frumentum proficisci. Eo consilio probato proxima nocte duobus milibus armatorum relictis reliquos ex oppido Drappes et Lucterius educunt. Hi paucos dies morati ex finibus Cadurcorum, qui partim re frumentaria sublevare eos cupiebant, partim prohibere quo minus sumerent non poterant, magnum numerum frumenti comparant, nonnumquam autem expeditionibus nocturnis castella nostrorum adoriuntur. Quam ob causam Gaius Caninius toto oppido munitiones circumdare moratur, ne aut opus effectum tueri non possit aut plurimis in locis infirma disponat praesidia. 34 – A cette vue, ceux qui étaient dans la ville, tourmentés par le tragique souvenir d’Alésia, se mirent à craindre un siège du même genre ; Luctérios, qui avait vécu ces heures-là, était le premier à rappeler qu’il fallait se préoccuper d’avoir du blé ; les chefs décident donc, à l’unanimité, de laisser là une partie des troupes et de partir eux-mêmes, avec des soldats sans bagages, pour aller chercher du blé. Le plan est approuvé, et la nuit suivante, laissant deux mille soldats dans la place, Drappès et Luctérios emmènent les autres. Ils ne restent que quelques jours absents, et prennent une grande quantité de blé sur le territoire des Cadurques, dont une partie désirait les aider en les ravitaillant, et l’autre ne pouvait les empêcher de se pourvoir ; ils font aussi, plus d’une fois, des expéditions nocturnes contre nos postes. Pour ce motif, Caninius ne se presse point d’entourer toute la place d’une ligne fortifiée il craignait qu’une fois achevée il ne lui fût impossible d’en assurer la défense, ou que, s’il établissait un grand nombre de postes, ils n’eussent que de trop faibles effectifs.
[35] Magna copia frumenti comparata considunt Drappes et Lucterius non longius ab oppido X milibus, unde paulatim frumentum in oppidum supportarent. Ipsi inter se provincias partiuntur : Drappes castris praesidio cum parte copiarum restitit ; Lucterius agmen iumentorum ad oppidum ducit. Dispositis ibi praesidiis hora noctis circiter decima silvestribus angustisque itineribus frumentum importare in oppidum instituit. Quorum strepitum vigiles castrorum cum sensissent, exploratoresque missi quae gererentur renuntiassent, Caninius celeriter cum cohortibus armatis ex proximis castellis in frumentarios sub ipsam lucem impetum fecit. Ei repentino malo perterriti diffugiunt ad sua praesidia ; quae nostri ut viderunt, acrius contra armatos incitati neminem ex eo numero vivum capi patiuntur. Profugit inde cum paucis Lucterius nec se recipit in castra. 35 – Après avoir fait une ample provision de blé, Drappès et Luctérios s’établissent à un endroit qui n’était pas à plus de dix milles de la place, et d’où ils se proposaient d’y faire passer le blé peu à peu. Ils se répartissent la tâche : Drappès reste au camp, pour en assurer la garde, avec une partie des troupes, Luctérios conduit le convoi vers la ville. Arrivé aux abords de la place, il dispose des postes de protection et, vers la dixième heure de la nuit, entreprend d’introduire le blé en prenant à travers bois par d’étroits chemins. Mais les veilleurs du camp entendent le bruit de cette troupe en marche, on envoie des éclaireurs qui rapportent ce qui se passe, et Caninius, promptement, avec les cohortes qui étaient sous les armes dans les postes voisins, charge les pourvoyeurs aux premières lueurs du jour. Ceux-ci, surpris, prennent peur et s’enfuient de tous côtés vers les troupes de protection dès que les nôtres aperçoivent ces dernières, la vue d’hommes en armes accroît encore leur ardeur, et ils ne font pas un seul prisonnier. Luctérios réussit à s’enfuir avec une poignée d’hommes, mais il ne rentre pas au camp.
[36] Re bene gesta Caninius ex captivis comperit partem copiarum cum Drappete esse in castris a milibus longe non amplius XII. Qua re ex compluribus cognita, cum intellegeret fugato duce altero perterritos reliquos facile opprimi posse, magnae felicitatis esse arbitrabatur neminem ex caede refugisse in castra qui de accepta calamitate nuntium Drappeti perferret. Sed in experiendo cum periculum nullum videret, equitatum omnem Germanosque pedites, summae velocitatis homines, ad castra hostium praemittit ; ipse legionem unam in trina castra distribuit, alteram secum expeditam ducit. Cum propius hostes accessisset, ab exploratoribus quos praemiserat cognoscit castra eorum, ut barbarorum fere consuetudo est, relictis locis superioribus ad ripas fluminis esse demissa ; at Germanos equitesque imprudentibus omnibus de improviso advolasse proeliumque commisisse. Qua re cognita legionem armatam instructamque adducit. Ita repente omnibus ex partibus signo dato loca superiora capiuntur. Quod ubi accidit, Germani equitesque signis legionis visis vehementissime proeliantur. Confestim cohortes undique impetum faciunt omnibusque aut interfectis aut captis magna praeda potiuntur. Capitur ipse eo proelio Drappes. 36 – Après cette heureuse opération, Caninius apprend par des prisonniers qu’une partie des troupes est restée avec Drappès dans un camp qui n’est pas à plus de douze milles. S’étant assuré du fait par un grand nombre de témoignages, il voyait bien que, puisque l’un des deux chefs avait été mis en fuite, il serait facile de surprendre et d’écraser ceux qui restaient ; mais il n’ignorait pas non plus que ce serait une grande chance si aucun survivant n’était rentré au camp et n’avait apporté à Drappès la nouvelle du désastre ; néanmoins, comme il ne voyait aucun risque à tenter la chance, il envoie en avant vers le camp ennemi toute la cavalerie et les fantassins Germains, qui étaient d’une agilité extrême ; lui-même, après avoir réparti une légion dans les trois camps, emmène l’autre en tenue de combat. Arrivé à peu de distance des ennemis, les éclaireurs dont il s’était fait précéder lui apprennent que, selon l’usage ordinaire des Barbares, ils ont laissé les hauteurs pour établir leur camp sur les bords de la rivière ; les Germains et les cavaliers n’en sont pas moins tombés sur eux à l’improviste et ont engagé le combat. Fort de ces renseignements, il y mène sa légion en armes et rangée pour la bataille. Les troupes, à un signal donné, surgissant de toutes parts, occupent les hauteurs. Là-dessus, les Germains et les cavaliers, à la vue des enseignes de la légion, redoublent d’ardeur. Sans désemparer, les cohortes, de tous côtés, se précipitent : tous les ennemis sont tués ou pris, et l’on fait un grand butin. Drappès même est fait prisonnier au cours de l’action.
[37] Caninius felicissime re gesta sine ullo paene militis vulnere ad obsidendos oppidanos revertitur externoque hoste deleto, cuius timore antea dividere praesidia et munitione oppidanos circumdare prohibitus erat, opera undique imperat administrari. Venit eodem cum suis copiis postero die Gaius Fabius partemque oppidi sumit ad obsidendum. 37 – Caninius, après cette affaire si heureusement menée, sans qu’il n’eût presque aucun blessé, retourne assiéger les gens d’Uxellodunum et, débarrassé maintenant de l’ennemi extérieur, dont la crainte l’avait jusque-là empêché de disperser ses forces dans des postes et d’investir complètement la place, il ordonne qu’on travaille partout à la fortification. Laïus Fabius arrive le lendemain avec ses troupes, et se charge d’un secteur d’investissement.
[38] Caesar interim M. Antonium quaestorem cum cohortibus XV in Bellovacis relinquit, ne qua rursus novorum consiliorum capiendorum Belgis facultas daretur. Ipse reliquas civitates adit, obsides plures imperat, timentes omnium animos consolatione sanat. Cum in Carnutes venisset, quorum in civitate superiore commentario Caesar exposuit initium belli esse ortum, quod praecipue eos propter conscientiam facti timere animadvertebat, quo celerius civitatem timore liberaret, principem sceleris illius et concitatorem belli, Gutruatum, ad supplicium depoposcit. Qui etsi ne civibus quidem suis se committebat, tamen celeriter omnium cura quaesitus in castra perducitur. Cogitur in eius supplicium Caesar contra suam naturam concursu maximo militum, qui ei omnia pericula et detrimenta belli accepta referebant, adeo ut verberibus exanimatum corpus securi feriretur. 38 – Cependant César laisse son questeur Marcus Antonius avec quinze cohortes chez les Bellovaques, pour que les Belges ne puissent pas une fois encore former des projets de révolte. Il va lui-même chez les autres peuples, se fait livrer de nouveaux otages, ramène des idées saines dans les esprits qui tous étaient en proie à la peur. Arrivé chez les Carnutes, dont César a raconté dans le précédent commentaire comment la guerre avait pris naissance dans leur citée, voyant que leurs alarmes étaient particulièrement vives, parce qu’ils avaient conscience de la gravité de leur faute, afin d’en libérer plus vite l’ensemble de la population, il demande qu’on lui livre, pour le châtier, Gutuater, principal coupable et auteur responsable de la guerre. Bien que le personnage ne se fiât plus même à ses propres concitoyens, néanmoins, chacun s’appliquant à le rechercher, on l’amène promptement au camp. César, malgré sa naturelle clémence, est contraint de le livrer au supplice par les soldats accourus en foule : ils mettaient à son compte tous les dangers courus, tous les maux soufferts au cours de la guerre, et il fallut qu’il fût d’abord frappé de verges jusqu’à perdre connaissance, avant que la hache l’achevât.
[39] Ibi crebris litteris Canini fit certior quae de Drappete et Lucterio gesta essent, quoque in consilio permanerent oppidani. Quorum etsi paucitatem contemnebat, tamen pertinaciam magna poena esse adficiendam iudicabat, ne universa Gallia non sibi vires defuisse ad resistendum Romanis, sed constantiam putaret, neve hoc exemplo ceterae civitates locorum opportunitate fretae se vindicarent in libertatem, cum omnibus Gallis notum esse sciret reliquam esse unam aestatem suae provinciae, quam si sustinere potuissent, nullum ultra periculum vererentur. Itaque Q. Calenum legatum cum legionibus reliquit qui iustis itineribus subsequeretur ; ipse cum omni equitatu quam potest celerrime ad Caninium contendit. 39 – César était chez les Carnutes quand il reçoit coup sur coup plusieurs lettres de Caninius l’informant de ce qui avait été fait concernant Drappès et Luctérios, et de la résistance à laquelle s’obstinaient les habitants d’Uxellodunum. Bien que leur petit nombre lui parût méprisable, il estimait cependant qu’il fallait châtier sévèrement leur opiniâtreté, afin que l’ensemble des Gaulois n’en vînt pas à s’imaginer que ce qui leur avait manqué pour tenir tête aux Romains, ce n’était pas la force, mais la constance, et pour éviter que, se réglant sur cet exemple, les autres cités ne cherchassent à se rendre libres en profitant de positions avantageuses : car toute la Gaule, il ne l’ignorait pas, savait qu’il ne lui restait plus qu’un été à passer dans sa Province, et s’ils pouvaient tenir pendant ce temps-là, ils n’auraient ensuite plus rien à craindre. Il laissa donc son légat Quintus Calénus, à la tête de deux légions, avec ordre de le suivre à étapes normales ; quant à lui, avec toute la cavalerie, il va rejoindre Caninius à marches forcées.
[40] Cum contra exspectationem omnium Caesar Uxellodunum venisset oppidumque operibus clausum animadverteret neque ab oppugnatione recedi videret ulla condicione posse, magna autem copia frumenti abundare oppidanos ex perfugis cognosset, aqua prohibere hostem temptare coepit. Flumen infimam vallem dividebat, quae totum paene montem cingebat, in quo positum erat praeruptum undique oppidum Uxellodunum. Hoc avertere loci natura prohibebat : in infimis enim sic radicibus montis ferebatur, ut nullam in partem depressis fossis derivari posset. Erat autem oppidanis difficilis et praeruptus eo descensus, ut prohibentibus nostris sine vulneribus ac periculo vitae neque adire flumen neque arduo se recipere possent ascensu. Qua difficultate eorum cognita Caesar sagittariis funditoribusque dispositis, tormentis etiam quibusdam locis contra facillimos descensus collocatis aqua fluminis prohibebat oppidanos. 40 – Son arrivée à Uxellodunum surprit tout le monde ; quand il vit que les travaux de fortification entouraient complètement la place, il jugea qu’à aucun prix on ne pouvait lever le siège ; et comme des déserteurs lui avaient appris que les assiégés avaient d’abondantes provisions de blé, il voulut essayer de les priver d’eau. Une rivière coulait au milieu d’une vallée profonde qui entourait presque complètement la montagne sur laquelle était juché Uxellodunum. Détourner la rivière, le terrain ne s’y prêtait pas : elle coulait, en effet, au pied de la montagne dans la partie la plus basse, si bien qu’en aucun endroit on ne pouvait creuser des fossés de dérivation. Mais les assiégés n’y avaient accès que par une descente difficile et abrupte : pour peu que les nôtres en défendissent l’abord, ils ne pouvaient ni approcher de la rivière, ni remonter, pour rentrer, la pente raide, sans s’exposer aux coups et risquer la mort. S’étant rendu compte de ces difficultés que rencontrait l’ennemi, César posta des archers et des frondeurs, plaça même de l’artillerie sur certains points en face des pentes les plus aisées, et ainsi il empêchait les assiégés d’aller puiser l’eau de la rivière.
[41] Quorum omnis postea multitudo aquatorum unum in locum conveniebat sub ipsius oppidi murum, ubi magnus fons aquae prorumpebat ab ea parte, quae fere pedum CCC intervallo fluminis circuitu vacabat. Hoc fonte prohiberi posse oppidanos cum optarent reliqui, Caesar unus videret, e regione eius vineas agere adversus montem et aggerem instruere coepit magno cum labore et continua dimicatione. Oppidani enim loco superiore decurrunt et eminus sine periculo proeliantur multosque pertinaciter succedentes vulnerant ; non deterrentur tamen milites nostri vineas proferre et labore atque operibus locorum vincere difficultates. Eodem tempore cuniculos tectos ab vineis agunt ad caput fontis ; quod genus operis sine ullo periculo, sine suspicione hostium facere licebat. Exstruitur agger in altitudinem pedum sexaginta, collocatur in eo turris decem tabulatorum, non quidem quae moenibus aequaret (id enim nullis operibus effici poterat), sed quae superare fontis fastigium posset. Ex ea cum tela tormentis iacerentur ad fontis aditum, nec sine periculo possent aquari oppidani, non tantum pecora atque iumenta, sed etiam magna hostium multitudo siti consumebatur. 41 – Alors ils se mirent à venir tous chercher de l’eau en un seul endroit, au pied même du mur de la ville, où jaillissait une source abondante, du côté que laissait libre, sur une longueur d’environ trois cents pieds, le circuit de la rivière. Chacun souhaitait qu’il fût possible d’interdire aux assiégés l’accès de cette source, mais César seul en voyait le moyen il entreprit de faire, face à la source, pousser des mantelets le long de la pente et construire un terrassement au prix d’un dur travail et de continuelles escarmouches. Les assiégés, en effet, descendant au pas de course de leur position qui dominait la nôtre, combattent de loin sans avoir rien à craindre et blessent un grand nombre de nos hommes qui s’obstinent à avancer ; pourtant, cela n’empêche pas nos soldats de faire progresser les mantelets et, à force de fatigue et de travaux, de vaincre les difficultés du terrain. En même temps, ils creusent des conduits souterrains dans la direction des filets d’eau et de la source où ceux-ci aboutissaient ; ce genre de travail pouvait être accompli sans aucun danger et sans que l’ennemi le soupçonnât. On construit un terrassement de soixante pieds de haut, on y installe une tour de dix étages, qui sans doute n’atteignait pas la hauteur des murs (il n’était pas d’ouvrage qui permît d’obtenir ce résultat), mais qui, du moins, dominait l’endroit où naissait la source. Du haut de cette tour, de l’artillerie lançait des projectiles sur le point par où on l’abordait, et les assiégés ne pouvaient venir chercher de l’eau sans risquer leur vie si bien que non seulement le bétail et les bêtes de somme, mais encore la nombreuse population de la ville souffraient de la soif.
[42] Quo malo perterriti oppidani cupas sebo, pice, scandulis complent ; eas ardentes in opera provolvunt eodemque tempore acerrime proeliantur, ut ab incendio restinguendo dimicationis periculo deterreant Romanos. Magna repente in ipsis operibus flamma exstitit. Quaecumque enim per locum praecipitem missa erant, ea vineis et aggere suppressa comprehendebant id ipsum quod morabatur. Milites contra nostri, quamquam periculoso genere proeli locoque iniquo premebantur, tamen omnia fortissimo sustinebant animo. Res enim gerebatur et excelso loco et in conspectu exercitus nostri, magnusque utrimque clamor oriebatur. Ita quam quisque poterat maxime insignis, quo notior testatiorque virtus esset eius, telis hostium flammaeque se offerebat. 42 – Une aussi grave menace alarme les assiégés, qui, remplissant des tonneaux avec du suif de la poix et de minces lattes de bois, les font rouler en flammes sur nos ouvrages. Dans le même temps, ils engagent un combat des plus vifs, afin que les Romains, occupés à une lutte dangereuse, ne puissent songer à éteindre le feu. Un violent incendie éclate brusquement au milieu de nos ouvrages. En effet, tout ce qui avait été lancé sur la pente, étant arrêté par les mantelets et par la terrasse, mettait le feu à ces obstacles mêmes. Cependant nos soldats, malgré les difficultés que leur créaient un genre de combat si périlleux et le désavantage de la position, faisaient face à tout avec le plus grand courage. L’action, en effet, se déroulait sur une hauteur, à la vue de notre armée, et des deux côtés on poussait de grands cris. Aussi chacun s’exposait-il aux traits des ennemis et aux flammes avec d’autant plus d’audace qu’il avait plus de réputation, voyant là un moyen que sa valeur fût mieux connue et mieux attestée.
[43] Caesar cum complures suos vulnerari videret, ex omnibus oppidi partibus cohortes montem ascendere et simulatione moenium occupandorum clamorem undique iubet tollere. Quo facto perterriti oppidani, cum quid ageretur in locis reliquis essent suspensi, revocant ab impugnandis operibus armatos murisque disponunt. Ita nostri fine proeli facto celeriter opera flamma comprehensa partim restinguunt, partim interscindunt. Cum pertinaciter resisterent oppidani, magna etiam parte amissa siti suorum in sententia permanerent, ad postremum cuniculis venae fontis intercisae sunt atque aversae. Quo facto repente perennis exaruit fons tantamque attulit oppidanis salutis desperationem, ut id non hominum consilio, sed deorum voluntate factum putarent. Itaque se necessitate coacti tradiderunt. 43 – César, voyant qu’un grand nombre de ses hommes étaient blessés, ordonne aux cohortes de monter de tous les côtés à l’assaut de la montagne et de pousser partout des clameurs pour faire croire qu’elles sont en train d’occuper les remparts. Ainsi fait-on, et les assiégés, fort alarmés, car ils ne savaient que supposer sur ce qui se passait ailleurs, rappellent les soldats qui assaillaient nos ouvrages et les dispersent sur la muraille. Ainsi le combat prend fin et nos hommes ont vite fait ou d’éteindre l’incendie ou de faire la part du feu. La résistance des assiégés se prolongeait, opiniâtre, et bien qu’un grand nombre d’entre eux fussent morts de soif, ils ne cédaient pas à la fin, les ruisselets qui alimentaient la source furent coupés par nos canaux souterrains et détournés de leur cours. Alors la source, qui ne tarissait jamais, fut brusquement à sec, et les assiégés se sentirent du coup si irrémédiablement perdus qu’ils virent là l’effet non de l’industrie humaine, mais de la volonté divine. Aussi, cédant à la nécessité, ils se rendirent.
[44] Caesar, cum suam lenitatem cognitam omnibus sciret neque vereretur ne quid crudelitate naturae videretur asperius fecisse, neque exitum consiliorum suorum animadverteret, si tali ratione diversis in locis plures consilia inissent, exemplo supplici deterrendos reliquos existimavit. Itaque omnibus qui arma tulerant manus praecidit vitamque concessit, quo testatior esset poena improborum. Drappes, quem captum esse a Caninio docui, sive indignitate et dolore vinculorum sive timore gravioris supplici paucis diebus cibo se abstinuit atque ita interiit. Eodem tempore Lacterius, quem profugisse ex proelio scripsi, cum in potestatem venisset Epasnacti Arverni (crebro enim mutandis locis multorum fidei se committebat, quod nusquam diutius sine periculo commoraturus videbatur, cum sibi conscius esset, quam inimicum deberet Caesarem habere), hunc Epasnactus Arvernus, amicissimus populi Romani, sine dubitatione ulla vinctum ad Caesarem deduxit. 44 – César savait que sa bonté était connue de tous et il n’avait pas à craindre qu’on n’expliquât par la cruauté de son caractère un acte de rigueur ; comme, d’autre part, il ne voyait pas l’achèvement de ses desseins, si d’autres, sur divers points de la Gaule, se lançaient dans de semblables entreprises, il estima qu’il fallait les en détourner par un châtiment exemplaire. En conséquence, il fit couper les mains à tous ceux qui avaient porté les armes et leur accorda la vie sauve, pour qu’on sût mieux comment il punissait les rebelles. Drappès, qui, je l’ai dit, avait été fait prisonnier par Caninius, soit qu’il ne pût supporter l’humiliation d’être dans les fers, soit qu’il redoutât les tourments d’un cruel supplice, s’abstint pendant quelques jours de nourriture et mourut de faim. Dans le même temps Luctérios, dont j’ai rapporté qu’il avait pu s’enfuir de la bataille, était venu se mettre entre les mains de l’Arverne Epasnactos : il changeait, en effet, souvent de résidence, et ne se confiait pas longtemps au même hôte, car, sachant combien César devait le haïr, il estimait dangereux tout séjour de quelque durée : l’Arverne Epasnactos, qui était un grand ami du peuple Romain, sans aucune hésitation le fit charger de chaînes et l’amena à César.